Couple : "On a des problèmes de communication"

Diane Baudry
il y a 5 jours
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"On vient vous voir parce qu'on a des problèmes de communication". Cette phrase, je l'entends quasiment à chaque première séance de thérapie de couple. Empêtrés dans des disputes sans issue, bloqués dans des discours de sourds, coincés avec leurs différences dont ils ne savent que faire, et démunis pour en sortir et continuer à avancer : voilà la grande majorité des situations dans lesquelles se retrouvent les couples qui viennent consulter en thérapie. Epuisés, tendus, pétris dans leur souffrance respective, frustrés, parfois même honteux de ne pas parvenir à s'en défaire tous seuls, ces couples - toutes sexualités confondues - ont l'impression d'être de mauvais élèves qui ne savent pas se parler et s'écouter. Mais le couple, c'est compliqué ! Et communiquer, c'est compliqué ! Alors, vous vous doutez bien que les deux phénomènes cumulés font des étincelles ! Voici quelques pistes de réflexion pour essayer de comprendre pourquoi cette affaire-là est complexe, et aussi pour dédramatiser, se faire confiance et trouver une manière d'échanger qui soit la vôtre.

problèmes de communication dans le couple

"On ne peut pas ne pas communiquer" (Ecole de Palo Alto)

Rencontrer des "problèmes de communication dans un couple", cela veut tout et rien dire. Que se passe-t-il qui fait dire aux partenaires qu'ils ont des "problèmes de communication" ? De quoi parle-t-on ? Quelle est la dynamique, parfois conflictuelle, à l'oeuvre ? Car la communication, ce n'est pas simplement la transmission d'un message entre un émetteur et un récepteur. Dire "Passe-moi le sel" et "Je t'aime", ce n'est pas franchement la même chose. Certes, le contenu du message et le ton employé par le partenaire revêtent de l'importance, mais c'est surtout le contexte de l'échange qui importe, la situation dans laquelle il a lieu. Un échange ne prend de sens que par rapport à une situation donnée. Entre s'assurer que chacun est disponible le soir, après le dîner, pour discuter de ce qui conviendrait à tous les deux concernant l'organisation des prochaines vacances - surtout après ce qu'il s'est passé l'année dernière - , et lancer le sujet en attendant que l'autre s'en saisisse entre le petit-déjeuner et le brossage de dents, juste avant de partir déposer les enfants à l'école, il y a une différence. Cet apéro dînatoire avec les amis est-il véritablement le lieu - et le bon moment - pour entamer une discussion sur le fait que cela fait cinq fois au moins que vous demandez à votre moitié d'échanger en magasin la tringle à rideaux qui trône dans l'entrée depuis le mois dernier, en vain ? Pas sûr. Car l'acte de communiquer participe à définir une relation, à négocier les places de chacun, à patrager ses valeurs et ressentis, ainsi qu'à influencer l'autre. La communication, implique un rapport d'interaction entre les partenaires qui s'inter-influencent mutuellement. Autrement dit, l'information partagée n'existe pas en tant que telle : elle se situe toujours à l'intersection de celui qui écoute et de ce qui lui est transmis. "Ce qui est dit est toujours dit par quelqu'un", rappelle le cybernéticien chilien Humberto Maturana. Et quand c'est dit par celle ou celui avec laquelle-lequel nous sommes engagés sentimentalement et émotionnellement, cela prend une ampleur toute particulière.

"L'effet couple" : quand le problème, c'est l'autre

L'enjeu de la communication pour le couple est énorme, car c’est à travers elle que la relation se constitue, se développe et évolue. La communication représente la dimension dynamique du lien. Il s'agit ni plus ni moins que d'amour ! Que ce soit la continuité de la relation elle-même, la reconnaissance de chacun, de ses besoins et émotions, ou encore le respect de la dignité de l'autre, de son intimité personnelle en dehors du couple : les enjeux sont profonds et structurants pour le couple, et touchent également chaque partenaire dans sa singularité et sa liberté. Or, si communiquer en soi est complexe, dans sa dynamique comme dans ses effets, vient s'y ajouter une particularité : "l'effet couple". En effet, le couple est une unité close, une sorte d'entre-soi, de bulle qui se prête aux manipulations, majoritairement inconscientes. Le couple fonctionne comme un système à part entière, qui agit sur chaque partenaire, en déterminant notamment une part de leur comportement. Si communiquer, c'est co-construire du sens à deux, cet "effet couple" va ainsi venir complexifier l'interaction dans ce que chaque partenaire y projette, en attend, en demande inconsciemment, le tout à travers la grille de référence et d'interprétation propre à chacun. "Je veux que cela change" est également une phrase que j'entends souvent au cours de la première séance de thérapie de couple. Et "cela", c'est souvent l'autre. "Je veux que l'autre change". D'où les disputes bloquées dans des liens de cause à effet (communication linéaire), qui basculent dans une escalade où chacun répond en miroir aux attaques de l'autre (communication symétrique). C'est le règne du langage symbiotique, de la suggestion, de la demande inconsciente, qui consiste à attendre de l'autre qu'il en interprète le sens et l'action attendue, sans avoir besoin de le formuler explicitement. "Le lave-vaisselle a fini de tourner" : tu n'as pas compris que quand je te dis cela, j'attends que tu vides le lave-vaisselle, si possible maintenant ? Et au bout du compte, le problème d'origine tombe dans les limbes de disputes à répétition, à grands renforts de reproches, de "tu" qui "tue", des conflits sans issue, avec son lot de réactions défensives chez l'un comme chez l'autre. Or, dans un couple, on ne connaît pas l'autre : on connaît l'autre en interaction avec soi, et réciproquement.

Parler de soi et du couple

Si les crises et les disputes font partie intégrante de la vie de couple, et sont nécessaires à sa construction et à son évolution, communiquer autrement consiste - entre autres - à lâcher l'autre et à parler de soi. Qu'est-ce que je ressens ? Qu'est-ce qui me fait partir au quart de tour ? Qu'est-ce qu'il se passe pour moi à ce moment-là ? Parler de soi plutôt que de l'autre, c'est sortir de l'impasse et créer de l'espace. C'est aussi informer l'autre de ce que l'on vit, des émotions qui nous traversent, des incompréhensions qui sont les nôtres. "Se révéler à son partenaire et se voir gratifié en retour de l'intimité du partenaire conduit à affermir l'attachement mutuel", précise le psychologue suisse Gabriel Moser. L'auto-révélation est un facteur fondamental dans l'approfondissement et le développement d'une relation de couple. Exprimer la déception et la tristesse que l'on ressent face à cette tringle à rideaux qui s'éternise dans l'entrée de la maison, parce qu'on le vit comme un manque d'engagement et d'investissement dans la relation, qui génère chez soi de l'inquiétude et de la peur d'être quitté-e, c'est dire autre chose qu'une répétition de reproches et de rappels normatifs et infantilisants pour que l'autre finisse par faire ce que l'on veut qu'il fasse. Parler de soi est souvent plus difficile que de faire porter à l'autre ce qu'il fait, ou le plus souvent ce qu'il ne fait pas, tout en énonçant aucune demande claire sur ce dont on a besoin. Il s'agit ici de partager ses ressentis, ses pensées, ce qui nous convient pas, de se livrer sur ses peurs, ses appréhensions, mais aussi sur ses envies et ses désirs, ou encore d'être force de proposition. C'est aussi une manière de prendre sa part de responsabilité dans la satisfaction de ses propres besoins - au lieu de la faire peser sur l'autre -, dans le respect de son partenaire et de la relation. Le couple, c'est une négociation permanente, et parler de la relation, autrement dit métacommuniquer, aide également à s'extraire d'une boucle de disputes, puisqu'il s'agit de s'exprimer sur ce que chacun vit dans la relation, en se donnant la possibilité de redéfinir ou de modifier ce qui nécessite d'évoluer. Car ce n’est pas l’autre qui est responsable de notre souffrance : c’est la relation telle qu’on l’a construite ensemble qui ne convient plus à ce moment-là. Et en prendre conscience, c'est déjà changer quelque chose.