Une tendance semble se profiler dans les médias depuis quelques mois maintenant, et peut-être le succès du film Anatomie d'une chute de Justine Triet en est-il pour quelque chose : celle de parler du couple. Comme s'il s'agissait d'une entité mystérieuse, à la fois inaccessible et complexe, recelant un secret difficile à percer. Entre choix du célibat et idées recettes pour faire durer son couple, qu'est-ce que cet intérêt dit et questionne sur notre façon d'envisager la relation à deux, sur comment "faire couple" aujourd'hui ?
Etre ou ne pas être en couple, that is the question
Depuis quelques années, être célibataire constitue un choix de vie assumé, libéré, épanoui. Vivre un célibat serait alors le chemin vers la réalisation de soi-même sans contrainte, sans limite que crée l'autre ou la relation elle-même. A contrario, le célibat est également subi, douloureux, synonyme de solitude et d'isolement social et affectif, avec une grande difficulté à rencontrer l'autre ou à créer une relation épanouissante. Comme s'il fallait choisir entre liberté - presque absolue, je fais ce que je veux, quand je veux, avec qui je veux, sans rendre de compte à personne - et compromis - entendu comme limite, contrainte, empêchement à toute forme de liberté individuelle dans la relation. Si chacun est libre - et heureusement ! - de créer et choisir le modèle de relation amoureuse qui lui convienne et qui fasse sens pour lui, ce "tout ou rien", proche du paradoxe, questionne. Alors, être en couple ou pas ?
Une sorte d'entre-deux matérialise ce positionnement assis entre deux chaises : "le célicouple". Le terme en lui-même est intéressant, amalgame de célibat et de couple, pour désigner une relation amoureuse de deux célibataires qui font le choix de vivre leur couple séparément. Pas clair. C'est un couple qui n'habite pas ensemble, qui vit sa relation en dehors d'un lieu commun, partagé. Vivre une relation de couple tout en restant à l'extérieur du couple, un pied dedans, un pied dehors. Encore une fois, il ne s'agit en aucun cas de juger ce modèle : et pourquoi pas ? Ce qui questionne, c'est ce que cela dit de l'engagement réciproque dans une relation, vis-à-vis d'une personne a priori choisie et aimée, de nos peurs aussi de revivre des déceptions, des séparations, et plus encore. Refuser de partager un lieu de vie commun, de vivre ensemble, résonne avec le fameux "quotidien qui tue le couple". Qu'est-ce qui fait penser qu'extraire le couple d'un quotidien constituerait une réponse garantissant non seulement sa longévité mais son épanouissement ? Que de partager uniquement les bons moments - week-ends en amoureux, cinéma, restaurant, etc. - préserverait le couple d'une forme d'ennui ou de lassitude provoqué par une paire de chaussettes sale abandonnée ou des courses à faire en rentrant du bureau ? Peut-être est-ce un peu plus complexe que cela.
C'est du moins ce que je constate dans ma pratique clinique. Pour certains, leur conception du couple est celle héritée du modèle de couple de leurs parents, avec toutes les croyances et normes de ce que doit être un couple, de comment il doit fonctionner et de ce qu'il est possible ou pas d'y vivre. Cette vision du couple, parce qu'elle est celle avec laquelle nous grandissons, imprime des craintes et des rejets de la relation de couple, ôtant toute possibilité d'imager un autre modèle de vie à deux. Pour d'autres, exprimer un désir, une émotion, une envie, un besoin différent de celui de l'autre est tout simplement impossible dans la relation de couple, au risque de perdre l'autre, impliquant de facto de subir l'autre, de se mettre de côté, de s'oublier pour l'autre ; comme si vivre en couple signait la fin de la liberté individuelle de chaque partenaire, dans l'expression et la satisfaction de ses besoins et de ses projets. Au contraire ! Le couple peut s'avérer être un formidable espace de créativité et de réalisation de soi, en acceptant la différence de l'autre dans la relation - oui, nous ne sommes pas d'accord, c'est ok, et si nous ne trouvons pas pour l'instant un compromis, ce n'est pas grave, nous savons que la solution viendra en temps voulu.
Faire durer son couple, pour quoi faire ?
Un certain nombre de podcasts, de séminaires ou de conférences fleurissent sur le couple, et s'intéressent tout particulièrement à la manière dont le couple peut durer dans le temps. "Comment faire pour que notre couple dure ?" interroge le psychanalyste Juan-Daniel Nasio. Ou encore "Quel est le kit de survie du couple ?" questionne le podcast de l'émission Grand Bien vous Fasse sur France Inter. Formulées ainsi, cela fait franchement pas rêver ! Qu'est-ce que cela veut dire au juste, "faire durer son couple" ? Pour quoi faire ? Qu'est-ce qu'il s'agit de faire durer là-dedans, coûte que coûte ? Est-ce que c'est finalement la bonne question ?
En même temps que les couples s'accrochent à leur longévité comme ce qui serait la marque du succès d'une vie à deux - comme si la durée de vie passée ensemble témoignait d'une relation épanouie -, la sexualité est de plus en plus délaissée par les couples. C'est particulièrement le cas pour les jeunes couples, qui font le choix de ne pas avoir de vie sexuelle, et privilégient l'amitié dans leur relation amoureuse. Comme si le désir, celui-là même qui s'épanouit lors des premiers mois, s'évaporait, quittait le lieu d'une rencontre avec l'autre désormais désinvesti. Au-delà de la libido, c'est un langage qui ne se parle plus, celui des corps, de la sensualité, d'un don de soi et d'un accueil de l'autre. Si, lorsqu'on parle d'intimité, on pense très souvent sexualité, ce n'est pas un hasard. C'est comme si cette vie sexuelle laissée aux oubliettes constituait le symptôme d'autre chose, peut-être d'une autre intimité qui est désormais gardée pour soi.
C'est quoi l'intimité ? Nous avons chacune et chacun notre propre définition et manière de la vivre et de l'exprimer. Dans l'intimité, dans un rapport intime à l'autre, il y a quelque chose d'un laisser aller, se laisser aller à être soi, avec l'autre. C'est dévoiler, laisser à voir à l'autre des pensées et des émotions qui définissent ce que l'on est au plus profond de soi, ses vulnérabilités, ses manques, ses maladresses, sa sensibilité, toute une part de soi-même que l'on a tendance à cacher aux regards des autres ; par peur d'être incompris, ignoré, moqué, rejeté, abandonné, ou au contraire accueilli, reçu, accepté, aimé. C'est une partie singulière de soi-même que l'on livre à l'autre, tel un don, en espérant qu'il en prenne soin. C'est aussi recevoir l'intimité de l'autre, l'accueillir telle qu'elle est, lui faire don d'hospitalité dans son existence, au sein de la relation amoureuse. Il y a quelque chose de l'acceptation de l'autre et de soi dans l'intimité, même si on se désole chaque matin de trouver des poils de barbe dans le lavabo ! Cela en fait partie aussi.
Cette acceptation se traduit dans un modèle de couple qui évolue au fur et à mesure des expériences partagées, traversées, vécues ensemble. Le couple que vous étiez encore hier n'est déjà plus celui que vous êtes aujourd'hui. Et tant mieux ! Chaque partenaire avance dans son existence individuellement, à la fois en dehors et au sein du couple, et ce sont aussi ces expériences personnels qui enrichissent la vie du couple. Le modèle de couple - vos valeurs, vos besoins, vos projets, votre communication, votre organisation, etc. - que vous avez plus ou moins consciemment créé au début de votre relation change lui aussi, et nécessite d'être modifié, en identifiant par exemple ce qui ne convient plus, ce qu'on a envie de vivre et de faire autrement. La thérapie de couple est un lieu libre et médiatisé par un tiers, à travers l'accompagnement du thérapeute, qui offre l'opportunité de porter attention à ce besoin de changement. Nul besoin de vivre depuis 25 ans ensemble, et être parents de 3 enfants, pour se l'autoriser ! Les couples sont dotés d'une capacité de créativité et de réenchantement dont ils n'ont souvent pas conscience.
Le couple, c'est accepter de changer
Dans une société de surconsommation, et tout ce qui va avec : instantanéité de satisfaction des pulsions - davantage que des besoins -, refus de toute frustration, contrôle de soi et des autres, quête de performance personnelle et professionnelle, néo-individualisme, la relation à l'autre est difficile, parfois rejetée, parce qu'elle confronte forcément ce qu'il en est de soi-même, de son attitude, de ses réactions, de son mode de fonctionnement, de ses désirs, de ses attentes, de ses choix, bref de ce qu'il en est de sa part de responsabilité.
La question de la relation amoureuse, de la relation à deux, touche à la notion de limite et de remise en question de soi. Inconsciemment, nous projetons la satisfaction de nos besoins, la compréhension de nos ressentis, sur notre partenaire, en attendant - sans rien en dire - qu'il-elle comprenne de lui-d'elle-même ce qu'il se passe pour soi. Ce n'est pas anodin si, en thérapie de couple, chacun-e en vient assez spontanément à évoquer le modèle parental, la relation à sa mère et à son père, sa place dans la fratrie, pour dénouer ce que l'on projette sur notre compagne ou compagnon, qui en réalité ne le concerne pas le moins du monde, mais nous touche d'abord nous-même, dans notre individualité et notre histoire personnelle.
Vivre en couple, s'engager dans une relation avec l'autre, partager son intimité - tant sexuelle qu'émotionnelle -, avancer à deux, construire ensemble un projet qui nous ressemble et nous unit, c'est non seulement prendre un risque - d'être rejeté, abandonné, incompris, de se séparer, bref de souffrir comme on a déjà souffert avant, mais là se dessine déjà autre chose : pourquoi le schéma devrait encore se répéter ? N'êtes-vous pas déjà en train de le répéter vous-même ? - mais également accepter de faire un minimum de travail sur soi, d'introspection, de remise en question de ses réactions, de ses attitudes, de ses paroles, de ses projections, de ses attentes, et d'avancer dans la relation, avec l'autre, en accueillant ce qu'il nous apprend sur nous-mêmes, sur ce qu'il nous fait découvrir de l'existence, et sur ce qu'il nous fait ressentir en nous de vivant.
Ce n'est pas simple, c'est vrai. Mais parfois, bouger juste un tout petit peu quelque chose suffit. C'est une aventure qui implique une créativité à deux presque permanente, au gré des événements et de l'évolution des désirs de chacun. Le couple est un espace d'inventivité et de création de soi autant que de création pour l'autre. Alors oui, peut-être y a-t-il quelque chose de mystérieux là-dedans : c'est toute la magie de l'histoire.
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