Frères et soeurs : pourquoi c'est si compliqué ?
- Diane Baudry
- 11 sept.
- 6 min de lecture
Bon nombre de récits que j'entends depuis mon fauteuil de psychanalyste racontent des relations fraternelles difficiles et douloureuses. Les rapports entre frères et soeurs se vivent souvent dans une forme de radicalité : à distance, au bord de la rupture ; ou au contraire, l'un-e contre l'autre, à la limite du conflit. Que ce soient entre frères, entre frères et soeurs, ou entre soeurs, au sein de familles nombreuses ou pas, les histoires fraternelles mettent régulièrement en scène des confrontations, des disputes et surtout des incompréhensions face aux réactions et aux attitudes de ce frère qui n'a pas contribué à la cagnotte familiale pour le baptême de sa nièce Adèle, ou de cette soeur qui s'arrange toujours pour éviter les repas d'anniversaires chez grand-mère Simone. Car rares sont les situations où les tensions entre frères et soeurs ne résonnent pas avec des événements familiaux impliquant au moins les parents. Entre frères et soeurs, pourquoi c'est si compliqué ? Voici quelques pistes de réflexion, non exhaustives bien sûr, pour en comprendre les enjeux filiaux, affectifs et transgénérationnels.
Rivalités et jalousies dans la fratrie : un héritage précoce
Quel enfant n'a jamais été jaloux, envieux, et en rivalité avec son frère ou sa soeur à l'issue d'un geste affectueux ou d'une marque d'attention des parents adressé à "l'autre", dont il aurait été privé lui ? Jusqu'à créer un conflit, une distance, une accumulation amère de frustrations qui marque en profondeur la relation fraternelle ? Des rapports entre frères et soeurs devenus adultes qui se retrouvent bloqués dans un lien meurtri, rejouant indéfiniment une relation impossible sans pertes et fracas ? Ce ressenti douloureux est légitime, et il est toujours possible de dénouer ce qu'il s'est joué pour chaque frère et soeur, en particulier à l'occasion d'une thérapie familiale. Car cette expérience s'inscrit dans un contexte souvent mis de côté, et pourtant éclairant.
La place de chaque enfant dans l’histoire parentale
Chaque membre de la fratrie naît à un certain moment de l'histoire de couple des parents. Les parents, c'est d'abord un couple amoureux qui décide, ou pas - certaines grossesses sont d'heureuses surprises -, de construire une famille, plus ou moins nombreuse. Que se passe-t-il entre le père et la mère - ou les figures paternelles et maternelles quel que soit le genre du couple - au moment de la conception, de la naissance, et même avant ? Que ce soit dans leur relation amoureuse - des tensions, un nouveau travail, un déménagement, un adultère, la préparation de leur mariage, etc. - mais également dans leurs relations familiales respectives - une maladie ou un décès, le divorce de leurs parents, le placement d'un de leurs parents en maison de retraite, etc. Ces événements marquent inconsciemment le rapport affectif qui sera tissé avec l'enfant déjà là et à venir, sans pour autant le définir pour le reste de la vie. De même, les fausses couches survenues avant la première grossesse ou après la naissance du premier enfant, les nourrissons morts-nés, ou encore les handicaps et maladies déclarées à la naissance d'un frère ou d'une soeur constituent autant de traumatismes pour les parents et les enfants présents qui laisseront des traces dans le traitement affectif des parents pour chaque enfant, et dans le ressenti individuel au sein de la fratrie.
Les attentes parentales et leurs effets sur les aînés et les cadets
Ces quelques exemples ne sont pas exhaustifs : la déception inconsciente ou pas d'un parent face au sexe de l'enfant, les attentes parentales et familiales projetées sur telle fille ou tel fils, les inquiétudes mêlées d'exigences des parents à être les meilleurs du monde sans s'autoriser aucune erreur, en particulier auprès de l'aîné-e de la fratrie désormais investi-e d'un devoir familial impossible à tenir, etc. Et lorsque le petit frère ou la petite soeur arrive, et que les parents, ayant essuyé les plâtres avec l'aîné-e, se sentent plus en confiance et détendus dans leur parentalité, la manière de prendre soin et d'aimer ce deuxième enfant est inévitablement différente, et modifie la relation avec l'aîné-e qui ne sera plus jamais la-le seul-e, et qui pourra alors éprouver de la peur à l'idée de manquer d'un amour absolu désormais disparu.
"L'enfant vient au monde déjà marqué par la place qui l'attend, des fantasmes et des discours de son entourage. (...) Il n'est jamais le simple produit d'une mère et d'un père, mais tout autant produit du monde ambiant." (Radmila Zygouris, L'amour paradoxal ou une promesse de séparation)
Être aimé comme l’autre : une illusion persistante
Etre aimé-e par ses parents de la même manière que l'est son frère ou sa soeur, ni plus ni moins, est une chimère. Et si le contexte de couple et familial des parents tient un rôle important, rappelons aussi que chaque enfant est différent dans sa personnalité, ses réactions, ses désirs, son développement. Chaque frère et soeur crée une relation différente avec son père et sa mère - ou les figures apparentées : tantôt complice, voire confident d'un de ses parents - jusqu'à devenir porteur d'histoires qui ne le concernent pas, tantôt distante, par manque de connivence ou en réaction à ce qui est vécu comme une absence ou un désintérêt. Se tissent ainsi des alliances inconscientes entre chaque enfant et parent, mais aussi au sein même de la fratrie : qui défend, qui est fort-e, qui transgresse, etc. Rejouant ainsi parfois des dynamiques relationnelles pré-existantes dans les générations précédentes, à commencer par celles des parents en tant que frères et soeurs au sein de leur propres fratries, et avec leurs propres parents.
La fratrie comme sous-groupe familial autonome
Car qui dit fratrie, dit question des places, à commencer par celles attribuées consciemment ou non par les parents à chaque enfant. La fratrie constitue un sous-groupe familial autonome, avec ses règles, ses interdits, ses jeux, sa dynamique, ainsi que son mode de fonctionnement et de régulation. Mélange de complicité et de compétition, le système constitué par les frères et soeurs reste en dehors de portée des parents - hors situations de débordements conflictuels irrésolus qui nécessiteraient leur intervention. Or, certains parents ressentent des difficultés, en tant que tel mais également dans ce à quoi cette configuration peut les renvoyer dans leurs histoires individuelles et familiales, face à la place que tient ce groupe, et à son fonctionnement interne qui les exclut. Se mettent alors en place des alliances inconcientes empreintes de loyauté entre l'un des parents et l'un des membres de la fratrie, souvent à leur insu respective, parasitant ainsi l'harmonie et l'organisation du sous-groupe frères et soeurs, et redonnant un semblant de contrôle au parent sur ses enfants. Cette ingérence, parfois réminiscence de ce qu'a vécu tel père ou telle mère dans ses relations fraternelles, a des impacts dans les relations entre les enfants, perturbent les places de chacun et créent des tensions affectives là où il n'y en avait pas. Diviser pour mieux régner, à défaut de pouvoir faire autrement, à commencer par en prendre conscience.
L’impact transgénérationnel des relations fraternelles
D'autres facteurs peuvent entrer en ligne de compte : l'écart d'âge entre chaque enfant, l'âge des parents à chaque naissance, l'agencement des chambres et leur partage dans la maison, tout comme l'impact transgénérationnel des relations fraternelles des ascendants qui peuvent se rejouer des décennies plus tard, comme des liens empêchés entre soeurs, la jalousie maladive d'un frère aîné, ou l'exclusion de la petite dernière du reste de la famille. Identifier les schémas relationnels des fratries qui composent l'histoire familiale sur plusieurs générations permet alors de remettre chacun à sa juste place, et de se libérer d'une sorte de destinée familiale au prisme avec des loyautés inconscientes, le plus souvent envers les parents.
Vers une relation fraternelle apaisée… ou assumée comme telle
Que faire de tout ceci ? Ce que vous avez besoin d'en faire. Les liens du sang, ici entre frères et soeurs, ne constituent en rien une obligation à entretenir cette relation ou à ressentir de l'affection. Dans la mesure où vous ne vous y sentez pas enfermé-e, contraint-e, frustré-e, dans un mélange de colère et d'incompréhension. Il arrive qu'en devenant soi-même parent, qu'en construisant sa propre famille, des questions surviennent, des émotions émergent et nécessitent de comprendre ce qui a raté dans ses propres relations avec un frère ou une soeur. Et de se sentir libre et serein-e dans sa relation avec ses frères et soeurs, quelle qu'elle soit.
Frères et soeurs : pourquoi c'est si compliqué ?
Diane Baudry, Psychanalyse, Psychothérapie, Hypnothérapie à Paris



