"Faire son deuil", qu'est-ce que ça veut dire au juste ?
Dernière mise à jour : 27 nov.
"Faire son deuil", "deuil pathologique", "étapes du deuil"... Autant d'expressions comme de formules toutes faites, devenues standards à suivre et à respecter lorsque nous perdons un être cher, un travail ou un lieu de vie. "Faire son deuil" s'est transformé en une double injonction, d'abord celle de devoir le faire, et ensuite selon une norme, en suivant un nombre prédéfini de phases, les unes après les autres, si possible dans le bon ordre, jusqu'à avoir terminé le processus, jusqu'à avoir "fait son deuil". Mais qu'est-ce que cela veut dire au juste ? Qu'est-ce qu'il s'agit de faire dans cette histoire-là ?

Le décès d'un père, la disparition d'une amie, la perte d'un travail ou d'une maison de famille, la maladie de son conjoint, le divorce ou la rupture amoureuse, tous ces moments constituent en soi des expériences de perte et de manque. Parfois soudaines, brutales ; parfois prévues, accompagnées. Qu'importe finalement, la perte est là, tel un bouleversement dans l'existence. Et que nous le voulions ou non, il va falloir trouver le moyen de faire avec. Et c'est là que l'obligation de "faire son deuil" émerge et interroge.
Parce qu'il arrive que "ça ne marche pas", que nous nous s'efforçons, jusqu'à nous forcer de tout notre chagrin et de toute notre énergie, à passer à autre chose ; et pourtant, "ça ne marche pas". Et nous voilà non seulement incapables de "faire notre deuil", comme si vivre cette épreuve impliquait une capacité spécifique dont nous serions dépourvus, mais vient s'y ajouter le sentiment de honte et de culpabilité de ne pas y arriver. Triple peine.
Et c'est sans compter la réaction sociale et ses injonctions contemporaines au bonheur, à l'épanouissement tant personnel que professionnel, et au contrôle de soi qui font alors de la tristesse et de la colère des émotions dites "négatives" ou encore "toxiques", et qui dès lors n'ont pas droit de cité. Quadruple peine.
Effondrés et perdus avec notre chagrin et notre perte, devant l'obligation de "faire notre deuil", en respectant des étapes prédéfinies, il nous faut de surcroît le vivre selon une durée limitée, au-delà de laquelle notre deuil devient "pathologique". Et nous voilà devenus malades de chagrin. Quintuple peine.
"La notion de "faire son deuil", avec les étapes que la psychanalyse lui attribue (déni, colère, marchandage, dépression, acceptation), est un effet de normalisation e la psyché des gens. C'est comme si on leur disait : "Voilà comment vous devez vivre les choses." (Vinciane Despret, philosophe)
Alors, que faire lorsque "ça ne marche pas", lorsque "je n'y arrive pas" ? Autrement dit, de quoi s'agit-il dans cette affaire-là ? Qu'est-ce qu'il s'agit de vivre au juste dans ce qui est considéré comme un "travail de deuil" ?
Vivre un deuil, éprouver une perte est un moment d'une intimité indicible, presque impossible à dire. La réalité se brise, la douleur nous plie en deux, les larmes pleuvent sans discontinuer, le chagrin coupe notre souffle et le manque est insoutenable. Comment continuer à vivre sans l'autre, avec son absence ? Comment faire avec ce qu'il reste, avec les traces, avec le manque, sans s'effondrer rien qu'à en effleurer l'idée ?
