"Avoir le sentiment de «rencontrer quelqu’un» ne débouche pas nécessairement sur de l’amour. Rencontrer quelqu’un, c’est déjà immense, et l’amitié le sait bien, l’affinité élective ou professionnelle aussi. Rencontrer quelqu’un, et une pulsion vitale surgit. Plus que du sang dans les veines, c’est la vie, le sens, l’envie, l’espérance, qui traversent nos veines. C’est un petit bout de commencement. Rencontrer, avoir la chance d’éprouver ce sentiment précieux d’être heureusement surpris par la vie, c’est si rare, et en même temps, si simple, qu’il y a toujours là matière à réconciliation avec la vie elle-même."
Ces propos de la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury-Perkins sur "La rencontre, un pur moment darwinien", publiés dans Libération, peuvent tout aussi bien s'entendre dans le cabinet, dans cette rencontre si singulière entre le psychothérapeute et le patient.
Cette première séance où l'on ne sait pas trop où l'on est, ce qu'on fait là, ce qui nous a amené à prendre ce rendez-vous, ce qui nous a poussé à venir. Et assis là sur ce fauteuil, sur ce canapé, face à cet étranger, cet inconnu-e, ne pas savoir par quoi commencer, ne pas oser prendre place, rester posé comme suspendu au bord du siège, regarder la boîte de mouchoirs offrir ses bras tendres et réconfortants, attendre qu'il se passe quelque chose, que le psy, cette espèce humaine non identifiée, cette drôle de personne là, au visage serein presque doux, qui ne dit rien, mais qui est là, présent, que l'on sent bien là avec soi, dans cette pièce inondée de livres dont les titres font peur rien qu'à les regarder.
Et puis ce moment, venu dont ne sait trop où, ni comment, ni véritablement pourquoi, où un mot sort. Et puis un autre. Et encore un autre. Et au fur et à mesure que les mots sortent, on se souvient de ce-ceux qui nous a amené là, à cet endroit, ce jour-là. On se dit qu'il s'agit juste d'expliquer les raisons de ce rendez-vous, pour que le psy ait les informations, comprenne le contexte, les personnages, les lieux, l'intrigue, les souffrances, les déboires, les déceptions, les trahisons, les pleurs, les traumatismes. Et les paroles viennent toutes seules, jusqu'à qu'elles prennent toute la place, enfin libérées après avoir été tellement contenues, et qu'on ne sache plus trop ce que l'on était en train de dire. Des paroles, encore. Et un moment, on sent comme une sensation humide sur sa joue et alors, on réalise que ce sont des larmes, et qu'un soulagement, ressenti perdu, se détend dans le corps, dans les émotions, dans l'esprit. Et même si on a l'impression de tenir un discours incompréhensible, qui part et qui revient, au bout d'un moment, on se rend compte que ce n'est pas grave, que ça fait du bien.
Et vient cet instant, presque magique, où le psy, qui écoute depuis le début de la séance, dans un silence attentif, prend le temps de laisser toutes ces paroles retomber, se poser, trouver leurs places, se rassurer, juste être là pour dire et éprouver tout à la fois un mot, une parole, un geste qui nous fait sentir pour la première fois cette sensation extraordinaire d'être compris par quelqu'un dans tout ce que l'on est, ce que l'on vit et ce que l'on ressent. Juste compris. Juste ça. Compris. Et c'est la rencontre. La rencontre thérapeutique, celle qui soigne, qui nous rend à nous-même.
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